La fille de Kolno.
Maria Lani, Editions des Quatre Chemins, 1929.
En 1929, les amateurs de beaux livres découvrent Maria Lani, grâce à un album, tiré à 80 exemplaires et publié par les éditions des Quatre Chemins, qui propose 51 portraits de cette inconnue par Bourdelle, Chana Orloff, Cocteau, Matisse, Rouault, Delaunay, Man Ray Derain, Foujita et bien d’autres. Chas et son ami Pascin sont eux aussi de cette étrange aventure initiée par Jean Cocteau. Maria Lani, une jeune femme brune, a débarqué à Paris au printemps de l’année précédente. Elle dit avoir 23 ans et être une vedette du cinéma berlinois, élève de Max Reinhardt. Deux producteurs l’escortent, qui ont le projet de tourner un film dont l’intrigue nécessite que soient réalisés plusieurs portraits de la comédienne. Cocteau tombe sous le charme, réel, de la Pragoise et persuade nombre de ses relations de participer au projet. L’album est supervisé par un certain Marc Ramo, pseudonyme de Maximilian Abramowicz. l’époux de Maria Lani. Seul Picasso refuse et Marie Laurencin, flairant une supercherie, dit au poète de choisir une de ses toiles et de l’appeler « Portrait de Maria Lani ».La préface de Cocteau s’achève sur un demi-aveu : « Quelle puissance d’hypnose chez cette femme ! Maria Lani (…) pourquoi ne créez-vous pas ce théâtre merveilleux qui consisterait à endormir la salle et à lui imposer vos rêves ? »
Car tout cela n’est qu’un coup publicitaire. Les portraits sont exposés par la galerie Georges Bernheim, en 1930. Même si la critique constate que l’on en sort sans avoir une idée bien précise du profil de « l’aimable vedette », l’exposition voyage, à New-York, Chicago, Londres, Berlin et Rotterdam. Or Maria Lani s’appelle en réalité Maria Jeleniewicz. Elle est née en 1895, à Kolno, un village juif de Pologne, et sa carrière cinématographique se réduit à quelques panouilles. Les deux producteurs sont en fait son frère et son mari, Maximilian Abramowicz. Celui-ci parvient à acheter en 1936 les droits d’adaptation cinématographique de La Voix humaine. Maria Lani, habillée par Lanvin, parfumée par Chanel et interviewée par Vanity Fair. obtient la nationalité française, mais la modeste carrière théâtrale qu’elle entame ne mène nulle part. En 1941, elle fuit la France soumise aux lois anti-juives pour les Etats-Unis. Maria revient à Paris après la Libération en quête de financement pour un film inspiré de sa vie. Le scénario, La Femme aux cent visages, a été écrit par Thomas Mann et Maximilian Abramowicz. Un article anonyme de Variety annonce que son rôle sera joué par Greta Garbo et le film mis en scène par Jean Renoir. En attendant, elle travaille à l’ambassade des Etats-Unis. Maria Lani meurt à Paris en 1954, abandonnée et oubliée. Sa tombe a depuis disparu.
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