Jocaste et le Chat Maigre, d’Anatole France, La Banderole, 1921.
Après lui avoir donné quelques leçons, Jean-Gabriel Daragnès juge que Chas est désormais prêt à graver. Pour ses premières armes, il lui confie l’illustration de deux nouvelles d’Anatole France, réunies en un volume publié en 1879, Jocaste et Le Chat Maigre.
A peu près oublié aujourd’hui, l’auteur de Les Dieux ont soif domine alors le monde des lettres françaises. Ironique, sceptique, proche de Jaurès et des idées socialistes, co-fondateur de la Ligue des droits de l’homme et dénonciateur du génocide arménien, il représente une autorité intellectuelle et morale. En 1921 il vient de recevoir le prix Nobel de littérature. Sa gloire le rend éminemment séduisant pour les bibliophiles : « Un inédit d’Anatole France se vendra toujours, même si l’illustrateur ne plaît pas . » Mornay et Gus Bofa lui demandent une préface juste pour pouvoir mettre son nom sur la couverture de Riquet à la Houppe et ses compagnons, de Raymond Hesse. Et tant pis si le maître n’a même pas lu le livre ! C’est donc avec une ironie certaine que Chas se frotte les mains : « Nous ne nous refusons rien !… De l’Anatole France ! »
Mais cette œuvre de jeunesse d’Anatole France n’est certainement pas la plus facile à illustre. Selon la critique, « ces deux longues nouvelles réunies en un seul volume, l’une un peu bien mélodramatique, l’autre trop caricaturale, laissent au lecteur une impression trop indécise pour s’imposer à son attention avec cette force et cette autorité qui classent d’emblée un écrivain et font que l’on s’attache désormais à lui . » Chas rend cette absence d’unité de ton : « La réalité qui est dans Jocaste et le chat maigre, j’ai essayé dans plusieurs planches de l’idéaliser… tandis que dans d’autres, je me suis appliqué à une transcription exacte . »
Il réalise 31 pointes sèches. Chacune des nouvelles est illustrée par un hors-texte et une vignette en tête de chaque chapitre.
Chas évite soigneusement l’anecdote. Ses dessins alternent natures mortes et personnages du drame : Hélène Fellaire, « douce, paresseuse, dégoutée, avec de grands élans d’affection et des attendrissements rapides », qui accepte « le mari fade et le sort monotone » que son père a choisis pour elle, un banquier, Haviland, collectionneur d’eau ; M. Fellaire de Sissac, , « un monsieur court, à gros favoris et à lunettes d’écaille », affairiste véreux, assez satisfait de la mort de son gendre, empoisonné par un domestique ; et Georges, le neveu d’Hélène qui va, sans le vouloir, précipiter le suicide de la jeune femme, hantée par la mort de son époux.
Hélène est une longue silhouette brune, mélancolique. Une fenêtre ouverte symbolise son désir inassouvi de liberté. Le plus beau dessin, quasiment impressionniste, s’écarte du texte, montre une femme rêveuse, se promenant au bord de la Seine du côté de Chatou.
Mise en couleurs.
Le Chat Maigre raconte l’histoire de Rémi, fils de Malidor Sainte-Lucie, procureur général près la cour impériale de Port-au-Prince. Comme Chas, le garçon est un exilé, son père l’ayant mis à l’abri en France. Comme lui, aux études il préfère le dessin. On devine que Chas met beaucoup de lui dans le dessin qui montre Rémi assoupi dans un hamac devant sa maison natale dont « il se rappelait très vaguement ».
On retrouve aussi le goût de Chas, sensuel, pour les étoffes, et le spectacle de la rue. Il dessine le bois de Boulogne et ses attelages élégants, et même son Montmartre, avec l’autobus Pigalle- Halles-aux-Vins.
Ce livre est le premier témoignage de « la sensibilité rétrospective » de Chas. Se gardant bien de moderniser personnages et décors, Il puise dans ses souvenirs d’enfance pour dessiner les attelages, les toilettes féminines, et reconstituer par petites touches l’atmosphère d’un temps qu’il n’a pas connu : « Avec une rare délicatesse, il fit revivre les modes et les manières de cette époque périmée, délicieusement désuète, des entours de 1875. Ce n’est plus tout à fait le Second Empire, c’est une allure nouvelle qui, en dépit de sa disgrâce, en garde cependant la charmante saveur, comme assombrie par le pieux souvenir du récent deuil national. Dans le cadre, d’où tout luxe semble être banni, Chas Laborde nous montre, en des intérieurs typiques, des visages graves d’hommes importants, ou de gracieuses silhouettes féminines en robes compliquées du temps. Et tout cela baigne dans la douce atmosphère des paysages parisiens. C’est tout un pittoresque, archaïque déjà, minutieusement noté . »
Jocaste et le Chat Maigre est tiré à 761 exemplaires: 1 exemplaire (1), imprimé sur papier Whatman, enrichi de tous les dessins originaux de l’artiste et de 3 suites des illustrations, une sur vieux Japon, une sur Japon impérial et une sur Hollande; 5 exemplaires (2-6) sur papier Whatman; 15 exemplaires (7-21) sur vieux Japon; 30 exemplaires (22-51) sur Japon impérial; 60 exemplaires (52-111) sur Hollande; 650 exemplaires (112-761) sur vélin d’Arches. Il existe aussi plusieurs exemplaires hors commerce, dont 1 exemplaire Hollande imprimé pour Jean-Gabriel Daragnès, 1 exemplaire vieux Japon imprimé pour Charles Malexis, 1 exemplaire papier Whatman imprimé pour Pierre Mac Orlan.
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