La fille en baudruche.
La Poupée, Léo Larguier, G. Briffaut éditeur, 1925.Chas Laborde a illustré trois livres de Léo Larguier (1878-1950), polygraphe, poète et chineur : L’après-midi chez l’antiquaire en 1921, Clarisse et la vieille cuisinière en 1922 et enfin La Poupée en 1925.
Cette longue nouvelle, construite à la façon d’un récit de Barbey d’Aurevilly, a pour personnage principal le capitaine Olivier Camors, gazé en 1915, qui vit loin du monde dans une propriété laissée à l’abandon. « Je ne veux voir personne », écrit-il dans son journal. « J’ai fait la guerre. J’ai jeté dans un tiroir les croix et les médailles qu’on m’y donna. J’ai vendu mes livres. » A 40 ans, il n’est plus qu’un « vieillard toussotant ». Les gaz continuent de lui ronger les poumons et il attend la mort. Constatant qu’à mesure que ses forces déclinent et que le mal le gagne, il se sent de plus en plus poursuivi par des images de femmes. Pour tromper son désir, il commande une poupée gonflable. Il lui achète des vêtements et attend avec impatience son arrivée par la poste, imaginant la vie qu’il aura avec elle. Il ne se sent pas plus absurde que son grand-père qui n’aimait que les femmes peintes par Greuze ou Fragonard. La poupée n’est qu’une illusion, mais l’amour n’est pas autre chose. Enfin la poupée arrive et Camors découvre « ses yeux immobiles, étonnés et extasiés ». Il a trouvé la femme idéale, miroir de toutes les autres. Il en meurt de saisissement, sa passion inassouvie. Chas traite ce récit singulier avec une grande délicatesse. La poupée apparaît deux fois, nue et innocente, telle que la voit le mourant. Elle s’anime, se lève et ouvre une porte… Les jeunes femmes que dessine Chas sont celles qui hantent la mémoire du reclus : une jeune tante, « immense et enfantine » qui se baignait nue dans le bassin du parc ; une grande fille, blonde et élancée, qui vit nue dans un château où personne ne vient jamais… S’il prête à ces demoiselles devenues des fantômes le sourire et les chairs des modèles qu’il va chercher au Café des Oiseaux, Chas souligne leur irréalité en les habillant dans le style périmé du Second Empire. Aucun dessin n’a pour cadre les années 20 mais Chas s’amuse à recréer le boulevard des Italiens à l’époque de la gloire du café Tortoni, fermé en 1893. Les illustrations ont un goût d’enfance. Chas plante le décor du livre en dessinant un petit train passant sur un pont, paysage de la Marne proche de la villa qu’y possédait son frère Jean-Félix. Cet aîné, qui avait encouragé sa passion enfantine du dessin, est mort en 1916, victime de la guerre comme le mélancolique héros de La Poupée. Et la porte de la demeure du capitaine semble celle du château de la Belle au Bois-Dormant. Clin d’œil à Larguier, Chas glisse ici et là quelques-uns des objets que l’auteur aime tant collectionner. Le thème de la poupée gonflable inspire aussi Jean Veber qui, illustrant le curieux roman fétichiste de Jean-Louis Renaud, L’homme aux poupées, annonce l’oeuvre de Bellmer, et, plus près de nous, Hirokazu Koreeda pour le film Air Doll (2009), dont l’ambiance n’est pas si éloignée de celle des dessins de Chas Laborde. La Poupée est tirée à 770 exemplaires. 10 exemplaires sur japon impérial (1-10), contenant un dessin original et une suite en noir et blanc ; 10 exemplaires sur japon impérial (11-20), contenant un dessin original ; 750 exemplaires sur vélin (21-770). 27 dessins en couleurs de Chas Laborde, dont 5 hors-texte. |