Les filles de la Place Royale.

Charlie Chasseur, de Jacques Dyssord, Bernard Grasset, 1924.

Chas Laborde a connu le baron Edouard Jacques Marie Joseph Moreau de Bellaing chez les Pères à Oloron-Sainte-Marie.

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Jacques Dyssord.

Monté à Paris en 1900,  Edouard jette son titre par-dessus les moulins et se lance avec passion dans la débauche et la littérature, sous le nom de Jacques Dyssord. Il se lie d’amitié avec Apollinaire, Tristan Derême, P.-J. Toulet et Carco. Bofa salue en lui

 » non pas un de ces Béarnais de la légende, nains et noirauds, à grand nez, mais un Béarnais solide et gaillard, haut en couleur et le rire sonore, qui fait honneur à la race. En d’autres temps, il était fait pour porter de lourds harnais de fer et de buffle. Comme la mode est passée de ces vains ornements, il ne porte rien, ce qui convient très bien à sa nonchalance naturelle. « 

Dissimulant sa mélancolie derrière une ironie féroce, il semble né pour scandaliser les honnêtes gens et affiche ses mauvaises fréquentations avec fierté. Il débarque dans les soirées avec Madame Betty, la tenancière d’un bordel  rue Saint-Sulpice, qui propose à ses clients : « Chéri, prends la chambre sur la rue ; elle est plus chère, mais du lit, tu verras l’église. »

Tour à tour poète, romancier, journaliste, essayiste, auteur de pièces de théâtre, il écrit et voyage beaucoup. Nègre de Willy, il fume l’opium en compagnie de P.-J. Toulet, dont il partage le désenchantement:

« Des picaros, des miguelets, des pèlerins,
Un tournesol… Où sont mes châteaux en Espagne ?
Don Quichotte, ce soir, a battu la campagne,
Dans l’outre de Sancho resterait-il du vin ?

Il faudra bien – tais-toi – savoir, en fin de compte
Lequel avait raison du sec ou du replet,
A moins que je n’invente – et pour moi – seul un conte.
– Auparavant, donnez-moi du feu, s’il vous plaît. »

Il retrouve Chas à Paris qui illustre, dans le numéro de Fantasio du 15 octobre 1920, un de ses contes, où un mauvais garçon vient reprocher à un romancier bourgeois de faire de l’argent en décrivant les mœurs des mauvais garçons.

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Illustration de Chas Laborde pour « Demi-sel » de Jacques Dyssord, Fantasio, n°329, 15 octobre 1920.

En 1924 Dyssord raconte dans Charlie chasseur l’ascension et la chute d’un mauvais garçon béarnais, venu trafiquer la cocaïne à Paris.

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Dyssord fait sa connaissance place Royale à Pau, où Charlie mène de front les carrières de chasseur dans un palace et de gigolo. Vient la guerre, que Dyssord décrit avec son détachement habituel:

« Certain incident survenu à Sarajevo, quatre ans après, et dont les gazettes entretinrent longuement leurs lecteurs, changea étrangement le cours de mes idées. Il m’advint, à moi qui avais, d’adorable façon, baîllé ma vie, de vouloir faire peau neuve. C’est une fâcheuse école que celle de la discorde entre les peuples pour un contemplatif. On ne devrait jamais laisser jouer avec le feu les enfants.

Quand le gouvernement de la République m’octroya quelques chiches banknotes – à titre de prime – pour m’avoir, deux bonnes douzaines de fois, pendant quatre ans, faire mettre nu comme un ver devant des gens à qui leur sexe ne semblait pas devoir autoriser avec le mien de telles privautés, je me trouvai résolu – et cela uniquement pour ne pas me faire remarquer – à faire fortune. Comme il était un peu tard pour fournir la troupe de semelles en carton armé ou de conserves moisies, je consultai les petites annonces des journaux. »

C’est par ce biais qu’il retrouve Charlie. Un jour,  chez Manière, celui-ci désigne à Dyssord  « un jeune homme glabre, portant des bésicles » qui dessine sur un coin de table. Et d’ajouter :

« Il m’a déjà pris au Café de la place Blanche. C’est moi qu’il vise. Il paraît que j’ai un type. Seulement, il m’a mis un melon marron. Je n’en porte jamais – ça fait poisse. Mais je ne lui en veux pas, le dessin a paru dans Le Rire : c’est toujours un peu de réclame pour moi dans le milieu. »

Madame Charlie, car il y a une madame Charlie,  a mauvais goût et préfère les dessins d’Albert Guillaume ou de Gerda Wegener, « le Boucher de la Gyraldose ». La Gyraldose est un antiseptique destiné à « l’hygiène et à la toilette des dames » et Gerda Wegener une dessinatrice particulièrement maniérée.

Il se peut que Charlie ait réellement existé. Chas a bel et bien dessiné un mac coiffé d’un melon marron pour une page du Rire.

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Charlie vu par Chas Laborde, Le Rire, n°25, 21 juin 1919.

Quoi qu’il en soit, Dyssord fait expliquer à son personnage la manière de Chas :

« Du moment qu’on a la photographie en couleur, (…), je ne vois pas pourquoi un tas de peintres s’esquintent à vouloir faire mieux. C’est du temps perdu. Mais il y a des choses que ne peut rendre la photographie. A preuve, moi. Je me suis fait tirer dans tous les pays du monde. Eh bien ! ce n’est pas ça. Alors que le dessin que je dis, où j’ai le bloum marron, en deux coups de crayon ça y était et je me suis mieux compris – comme je vous le dis – en me regardant. Avant, je n’étais pas bien sûr de mon genre, maintenant je suis tranquille. Un artiste qui voit derrière votre frime ce que vous avez dans le bide et qui le transcrit, que c’est comme une empreinte digitale qu’on ne peut pas contrefaire – ça, c’est du travail- surtout quand il emploie le moins de lignes et de couleurs possibles. »

 

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Charlie vu par Chas Laborde, Fantasio, n°296, 15 mai 1919.

La carrière de Dyssord s’écroulera après qu’il se soit compromis avec la presse collaborationniste. Mis en cause, il se retire de la vie littéraire en 1945 et meurt à Villejuif en 1952.

Le vertueux Pascal Ory le voue aux poubelles de l’histoire, le traitant de  « gentilhomme béarnais déchu » et de « polygraphe de seconde zone.» Cela n’aurait sans doute pas déplu à Dyssord qui avait choisi pour épitaphe :

« Ci-gît qui fut de malencontre, ne sut trouver le bon chemin et qui, en retardant sa montre, pensa différer le destin. «